Education nationale : une grève opportuniste pour "emmerder", et après ?
L'appel à la grève, quel qu'il soit, comporte toujours de bonnes et mauvaises raisons, selon le point de vue duquel on se place, selon aussi les motivation avancées ou masquées de ses auteurs. Il n'échappera à personne que la grève de ce jeudi dans l'Education nationale revêt un caractère éminemment politique bien avant d'être sanitaire. Le Covid a bon dos. Les syndicats voient l'occasion très opportuniste de se refaire la cerise sur un fond de mécontentement diffus alors qu'à gauche, les candidats lilluputiens à la présidentielle et les partis censés les soutenir s'enfoncent chaque jour un peu plus dans les querelles d'ego et les incohérences mortifères.
Des syndicats à la ramasse depuis des années. L'unanimité (ou presque), y compris des plus réformistes, pour appeler à la grève masque mal la perte continue de leur influence, la désertion des militants, au point que certaines écoles et des établissements du secondaire ne comptent plus aucune section syndicale. D'où la tentation, quitte à paraître à la remorque, de gonfler les pectoraux corporatistes outranciers pour tenter de se faire entendre dans un choeur d'une radicalité qui chante faux.
Alors que plusieurs responsables syndicaux n'hésitent plus à admettre que la grève n'est plus forcément le moyen idoine pour se faire entendre, ils n'hésitent pas cette fois à rejoindre la cohorte des anti-tout les plus radicaux. Certes, toute la société est en tension, las d'une pandémie qui n'en finit pas, avec les enseignants dont la plupart ont été en première ligne pour faire en sorte que l'école française soit celle qui est restée le plus longtemps ouverte au cours de ces deux années covidiennes. Un motif de satisfaction que les profs devraient partager avec leur ministre, qui n'a pas ménagé sa peine pour obtenir ce résultat, quitte à être parfois contredit par le plus haut sommet de l'Etat.
En fait, ils profitent d'un passage à vide de Jean-Michel Blanquer avec le cafouillage protocolaire de ce mois de janvier, pour accentuer leur bashing (une pratique qui n'a pas non plus épargné ses prédécesseurs, fussent-ils de gauche), quitte à prendre le risque de passer pour des déserteurs sur le front de la pandémie.
Car si cafouillage il y a incontestablement, il est difficile d'affirmer que l'école est totalement désorganisée comme l'assénait dimanche Aurélie Filippetti sur France Culture dans le cadre de l'émission "L'Esprit public". Ses propos excessifs ont d'ailleurs mis mal à l'aise ses partenaires, tels Gérard Courtois ou Jean-Noël Jeanneney qui ont pris subtilement leurs distances. En passant, il faut dire que cette émission n'était pas le meilleur cru de la saison avec une introduction très critique sur les vaccins de la part de Patrick Cohen dont on apprécie généralement la pondération à C'est à Vous.
Car, si la situation est compliquée dans les écoles primaires, elle est davantage maîtrisée dans le secondaire. Et globalement le nombre de classes fermées reste très minoritaire. On notera au passage les tentatives de ripostes embarrassées des oppositions, dénonçant, comme Jean Rottner, l'absence de dialogue entre Etat et collectivités, mais oubliant juste qu'il existe une loi de décentralisation, certes mal ficelée, mais valide, répartissant les compétences entre Etat et collectivités, ces dernières ayant à charge la gestion matérielle des établissements.
Là aussi le Covid a bon dos quand on les entend se plaindre de l'incitation ministérielle à équiper les salles de classes de capteurs de CO2 et de purificateurs d'air. Une exigence qui n'a pas été mise en avant par le passé, mais qui aurait pu susciter des initiatives locales bienvenues sans que le sujet ait besoin de nourrir les polémiques actuelles.
Juste sur l'agglomération nancéienne, par exemple, je serais curieux de connaître le nombre de communes qui se sont acquittées de cette tache.
Cette grève est vraiment d'un opportunisme malsain, les syndicats le savent, et n'ignorent surtout pas que Blanquer souhaitait atteindre la fin du quinquennat " en pente douce" selon l'expression du Monde. Traduisons : à l'orée de chaque présidentielle, les conseillers, les fonctionnaires en responsabilité administrativo-politique, sont davantage préoccupés par leur recasage que par le bouclage des derniers dossiers, fussent-ils urgents. Même si le Président a indiqué vouloir travailler jusqu'au bout, la machine sera moins huilée.
La moindre réactivité ministérielle a sans doute motivé la montée au créneau du Premier ministre qui sait que son bail se termine en avril et est donc prêt à prendre tous les coups.
Quoi qu'il en coûte certes aux grévistes, mais à la société qui va vivre une journée de pagaille qui tombe au plus mal, la grève aura bien lieu. Malgré les bonnes nouvelles qui tombent à pic, comme l'apport de 30 postes supplémentaires dans l'académie de Nancy-Metz, pourtant confrontée depuis des années à une baisse démographique continue (- 3000 élèves à la rentrée). On attend en retour des propositions concrètes, constructives de la part des syndicats. Elles se font malheureusement attendre. Le contexte électorale porte davantage à l'indignation. On peut le regretter amèrement.
Une grève est faite pour emmerder. Reste à ne pas rater sa cible et à ne pas passer pour des déserteurs sur le font de la pandémie, aux yeux de parents, qui ont déjà un quotidien compliqué, qui devront ce jeudi redoubler d'ingéniosité pour garder ou faire garder leur progéniture.
Philippe RIVET